Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Preview : Chapitre 3 du Tome 3

Publié le par Phoenix

Ohayo mina !

Ne dites rien, je sais : "Phoenix, tu traînes ! On attends le tome 3 !" ; il arrive, il arrive, juste plus lentement que prévu ! Petite consolation pour vous, s'il en est : il s'annonce meilleur que tout ce que j'ai déjà écrit jusqu'ici, alors disons que ça devrait valoir le coup d'attendre un peu plus longtemps, au final :)

Et puis, ça me donne l'occasion de vous partager un peu plus d'extraits, comme aujourd'hui : j'ai le plaisir de vous présenter deux des nouvelles têtes d'affiches de cette fin de trilogie, pas forcément inconnues de ceux et celles d'entre vous qui suivent mon travail depuis les tout-débuts...

 

Bonne lecture !

 

Chapitre III

 

 

14 Novembre 2050, 08h49

Café "Smooth Brew", Phoenix

Arizona, Nouvelle Confédération Américaine

 

            À l'ère du tout numérique, où la technologie se montrait aussi envahissante que de la mauvaise herbe dans un potager, certains commerces faisaient figure de résistants d'un autre monde, d'une autre époque où la chaleur humaine n'avait pas encore été remplacée par les drones de service et autres distributeurs automatiques, véritables outils de la consommation express et de la rentabilité 2.0.

Le Smooth Brew Coffee faisait partie de ces rares établissements où un personnel en chair et en os prenait encore les commandes et servait les boissons, à l'ancienne, sans utiliser matériel plus avancé que des caisses enregistreuses. Cette authenticité old-school était la marque de fabrique de la maison, et se retrouvait aussi bien sur les murs chargés d'ardoises, mettant en vedette le breuvage du moment, que dans le mobilier fait de bois cérusé et de cuir élimé, aux antipodes des équipements modernes à base de polymères plastiques bon marché et produits à la chaîne. Ici, chaque table, chaque chaise avait sa propre histoire, écrite dans les nœuds du bois comme dans les traces d'usure et autres éraflures, produits d'un maladroit coup de couteau à beurre ou d'un fessier aux proportions pantagruéliques.

C'était sans doute ce charme rétro qui conduisait James Shefield à fréquenter le Smooth Brew tous les matins, qu'il pleuve, neige ou vente. Dès huit heures trente, il y pénétrait avec l'exemplaire du jour de l'Arizona Republic coincé sous le bras, et un billet de dix dollars en poche, sans oublier l'un de ses robustos cubains dont il appréciait la consommation, et s'installait au fond de l'établissement, près du ventilateur de plafond. Là, après avoir commandé deux espressos sans sucre ni lait ainsi qu'un cendrier propre, il entamait la lecture de son journal, laquelle l'occupait généralement jusqu'à plus de neuf heures quinze, moment où il écrasait son cigare et repartait chez lui, en laissant systématiquement le quotidien sur la table pour faire le bonheur des prochains clients.

En ce lundi de Novembre, ce rituel rôdé depuis plusieurs années déjà n'avait pas changé d'un iota. Les deux petites tasses de café, le cendrier, le journal, la table de "l'habitué" Shefield, rien ne manquait au tableau ; sauf que ce jour-là, la lecture d'ordinaire tranquille de James prit une tournure autrement moins posée qu'à l'accoutumée. En cause, un article traitant du Conseil des Nations, descendant direct de feue l'ONU, et des dernières trouvailles de son secrétaire général, un certain Martin Nielsen.

"Le secrétaire général du Conseil des Nations annonce aujourd'hui le lancement d'une série de grands travaux, réunis sous le nom ronflant de "Pacte d'intégration solidaire". L'objectif affiché de M. Nielsen est sans conteste de créer une forme d'entente internationale visant à favoriser l'intégration des mutants dans les sociétés humaines des pays membres du Conseil…"

Cette seule introduction fit presque bondir James de sa chaise.

- Qu'est ce que c'est que cette mascarade ? commença-t-il même à dire à haute voix, en se redressant pour poursuivre sa lecture.

"M. Nielsen, dont la position de secrétaire général a toujours été fragile, notamment en raisons de son point de vue trop humaniste sur la question mutante, n'en démord pas et passe même à l'offensive avec "une série de mesures qui seront discutées avec les états membres afin de faciliter l'intégration sociale et professionnelle des surhommes qui le désirent […]". La démarche de M. Nielsen ne fait pas l'unanimité auprès des membres de la Cour Corporatiste, qui annonce déjà des sanctions économiques aux états qui souhaiteraient collaborer à ce projet. Pourtant, quelques multinationales d'état ont manifesté un intérêt plus ou moins marqué pour ces travaux législatifs, notamment les industries nippones Shogen…"

Plus remonté que jamais, Shefield tira énergiquement sur son cigare avec le vague espoir que le tabac, dépresseur naturel, lui permette de se calmer, au moins le temps de finir l'article.

"… du côté des corporations américaines, on se montre relativement réservé à ce sujet, notamment à cause des évènements récents liés au Red Thursday et à l'exécution barbare de plusieurs soldats de la PMC Warhead Enforcement. Le sort qu'ont vécu les administrateurs et employés de la Genetics Corporation de Denver ainsi que les habitants de l'état du Colorado pose donc une nouvelle fois la question du problème mutant, problème qui, s'il n'est pas rapidement résolu, pourrait mener le continent américain à sa perte. Nos ancêtres ont eu affaire aux amérindiens, puis au nazisme, puis au bloc soviétique, puis à l'islamisme radical ; le nouvel ennemi de ce milieu de siècle est donc le "surhomme" ; mais ce n'est pourtant pas ce que pensent les administrateurs de l'Easton Corp. de Caroline réunifiée, son président Trent Easton en tête : "Nous saluons l'initiative de Martin Nielsen, et souhaitons qu'un tel projet puisse également être porté à la Cour Corporatiste […] Ouvrons les yeux, [les mutants] ne sont plus uniquement le problème de la Genetics Corporation, mais de toutes les corporations d'état." Ainsi certains sont prêts à traiter avec le nouvel envahisseur, à l'intégrer dans nos sociétés, et bientôt nos enfants auront pour camarades de classe de petits phénomènes lanceurs de feu, violeurs de pensées ou encore des hybrides mi-enfants, mi-lézards. Tel est l'avenir que Martin Nielsen et le Conseil des Nations nous promettent."

La réaction de James ne se fit pas attendre.

- Putain de néerlandais de mes deux ! jura-t-il en réduisant le journal en boule de papier informe, qu'il jeta ensuite rageusement au sol.

Autour de lui, la poignée d'autres habitués tournèrent leurs visages dans sa direction, se demandant quelle mouche avait piqué le quadragénaire au collier de barbe grisonnant et à la crinière poivre et sel, d'ordinaire plutôt calme. Il leur adressa un regard sans équivoque qui, ajouté au "Quoi ?" énervé qui suivit, les incita à reprendre leurs discussions sans s'occuper davantage de lui.

Shefield descendit son second espresso d'une traite, et tira une longue latte de nicotine avant de commencer à se calmer. L'une de ses mains géantes trouva alors son front plissé ou naissaient quelques rides de vieillesse, et l'un de ces constats navrants finit par échapper à ses fines lèvres comme à son self-control :

- Putain, mais où va le monde ?

Alors qu'il tirait une nouvelle fois sur son robusto, il eut droit à une réponse inattendue, émanant d'une voix féminine pleine de grâce et de charme :

- Là où Dieu tente de l'emmener… Il y a juste quelques brebis qui s'égarent.

Le regard de James se redressa pour passer d'une paire de jolies jambes nues à une jupe lisse et noire, puis à un chemisier blanc surmonté d'un visage encadré d'un carré blond et serti d'yeux émeraude.

- Ella Cohen, souffla-t-il après l'avoir reconnue.

Il leva courtoisement son mètre quatre vingt quatorze pour lui tendre une main, mais la jeune femme préféra se hisser sur la pointe de ses escarpins pour lui faire une bise. Il commenta ce geste d'affection d'une petite blague :

- Ton père sait que tu dragues de vieux débris dans de drôles d'endroits ?

Elle eut un court rire distingué, presque bourgeois, et répliqua avec une certaine élégance :

- Vieux débris… vous vous sous-estimez, jeune homme.

Pour un peu, Ella aurait pu être sa fille : elle ne devait pas avoir encore passé le cap de la trentaine, alors que lui allait vers ses quarante-six printemps. James trouva naturellement le duo qu'ils formaient maintenant, autour de la table, des plus incongrus.

- assieds-toi, jeune fille, proposa-t-il en indiquant la chaise face à lui tout en reposant son séant sur la sienne. Alors, comment va le paternel ?

- Ma foi, pas trop mal, répondit la jeune femme après s'être délestée de sa mallette. Tu es au courant qu'il a acheté et remis sur pied un vieux ranch ?

- Il en parlait souvent, à l'époque, opina Shefield. Alors ça y est, il mène la vie de cow-boy dont il rêvait…

- Disons qu'il s'y essaye… Avec sa prothèse, il ne peut pas monter à cheval, alors il a embauché des gars pour ça. Lui, il chapote un peu le truc, tu vois le genre. S'il vous plaît ?

Tandis qu'Ella appelait la jeune serveuse pour passer commande, James se prit à repenser à Erick, le père de son interlocutrice. Sa mémoire le renvoya alors bien loin dans le temps et l'espace, près de vingt cinq années en arrière, à l'époque où ils servaient tous deux sous le drapeau aux cinquante étoiles. Membres de la même unité des Navy SEALs, ils avaient pratiquement fait toute leur carrière ensemble, de leur premier déploiement commun en Égypte au milieu de la pétroguerre des années 2025 jusqu'à leur baroud d'honneur en Corée, presque dix ans plus tard ; et dans l'intervalle, ils s'étaient mutuellement sauvé la vie un bon nombre de fois, de quoi créer un lien aussi fort que durable entre les deux hommes, aujourd'hui retirés de la vie militaire.

- C'est déjà pas mal qu'il ait réussi à se poser, commenta James tandis qu'Ella se faisait servir un latte macchiato.

La serveuse posa devant lui une nouvelle tasse d'espresso, probablement commandée pour lui par la fille de son vieux camarade, et ramassa les deux tasses vides avant de s'éclipser.

- Oh, ça n'a pas été aussi facile que tu le penses. Maman l'a tanné un moment pour qu'il arrête de bosser, il ne tenait pas en place après son retour à la vie civile. Et puis elle a eu un cancer, c'est là qu'il a commencé à se calmer.

- Je ne l'avais pas su… Désolé de l'apprendre.

Ella secoua sa main gauche, tandis qu'elle amenait une cuillerée de mousse de lait à ses lèvres de l'autre.

- Elle est en rémission, le rassura-t-elle avant de s'essuyer élégamment la bouche.

James poussa une sorte de grognement satisfait, tout en se saisissant de sa nouvelle tasse. Leur dialogue, au demeurant très amical, n'était pas pour enchanter son côté antisocial ; qui plus est, Ella était la fille d'un de ses rares amis, mais il ne la connaissait que très superficiellement, et n'avait aucune forme d'intérêt à mieux la connaître. Après tout, elle n'était sûrement que de passage dans le coin, probablement pour faire quelques affaires à en juger par sa tenue stricte et son attaché-case, mais certainement pas pour rattraper le temps perdu avec ce vieux vétéran bourru et antipathique que Shefield pensait être.

- Mais bon, je ne suis pas venue jusqu'ici pour t'ennuyer avec mes histoires, déclara-t-elle finalement, comme si elle avait lu ses pensées.

- Et donc, qu'est-ce qui t'amène si loin d'Odessa ? l'interrogea-t-il avant de descendre son café.

- Le boulot. Super original, je sais…

James sourit brièvement en coin. Il déposa la tasse pour récupérer son cigare, resté quelques instants sur le rebord du cendrier.

- Tu bosses dans quoi ?

- Je suis officier opérationnel chez Armatech.

En une seule phrase, elle captura toute l'attention de James ; et à en juger par son regard et son sourire, elle avait parfaitement conscience du pouvoir que ses mots venaient d'exercer chez l'ancien militaire.

Shefield connaissait très bien Armatech, pour avoir utilisé un certain nombre de leurs produits lors de son service. Ce petit conglomérat américain faisait partie des cinq plus gros fabricants et vendeurs d'armes du continent, mais il brillait surtout pour ses équipements designés spécifiquement pour la chasse au mutant. Leader incontesté de ce marché de niche, l'entreprise basée à San Antonio, Texas, se targuait d'être l'ultime rempart contre la vermine mutante, via des armes susceptibles de rivaliser contre les pouvoirs des êtres génétiquement modifiés. Leur best-seller était la célèbre grenade cryogène Sub-Zero Mk II, conçue pour libérer un mélange d'azote liquide et de cryoprotecteurs au point d'impact ; un gadget idéal pour geler sur place un surhomme avant de le finir à la chevrotine, tel que le disaient les publicités.

Après avoir poussé sur le côté de la table sa grande tasse à moitié vidée, Ella ramassa sa mallette pour la déposer sur le plateau.

- À vrai dire, je suis venue pour te proposer un job.

Shefield hésita à l'interrompre dès cet instant. Il n'avait pas besoin d'un travail puisqu'il en avait déjà un, consistant en un rôle de videur dans un bar-discothèque vieillissant ; un boulot bien merdique, comme tous ceux qu'on pouvait proposer à un vétéran n'ayant connu que la guerre, ou pratiquement. Au moins ce job lui permettait-il de payer ses factures et de remplir son frigo, mais Shefield devait bien admettre que ça ressemblait davantage à un crachat que la société lui aurait envoyé en pleine figure, plutôt qu'à une quelconque forme de remerciement pour son engagement militaire.

- Mes supérieurs m'ont chargé de monter une équipe en vue d'une opé' spé', se lança la jeune femme. Ton profil correspond à ce que je recherche en termes de compétences…

James étouffa un rire.

- J'ai bien peur que tu ne connaisses pas grand-chose de mes compétences, jeune fille, lui asséna-t-il entre deux lattes de tabac.

Ella ramena sa frange derrière son oreille gauche tout en souriant en coin. L'instant d'après, elle brandissait une copie des états de service du lieutenant Shefield, copie qu'elle s'était très probablement procurée grâce aux accointances de son père.

- Ce document parle pour toi, old boy. Si je résume son contenu : douze ans de bons et loyaux services, ponctués de quatre opérations extérieures d'envergure en temps de guerre et récompensés par cinq médailles dont la Silver Star. Je passe sur les louanges que l'état-major des SEALs a chanté à ton propos, ça risquerait de te faire rire jaune, ou cracher par terre, voire les deux à la fois.

Shefield sourit, amusé d'avoir été aussi bien cerné.

- Mais encore ?

- J'ai également le rapport de l'expertise médicale établie lors de ton retrait du service actif, expliqua-t-elle en brandissant un second document. Pas de syndrome post-traumatique, une forme olympique si l'on excepte la mollesse de ton bulbe rachidien, mais j'ai ouï dire que c'était de naissance…

La jeune femme tira la langue pour appuyer sa plaisanterie, mais James y demeura insensible.

- N'oublie pas que le mou du bulbe a torché ton cul de petite ingrate une ou deux fois, ne put-il toutefois s'empêcher d'ajouter avec un bref sourire en coin, histoire de la recadrer un peu.

Joueuse, elle tira le stylo pendu à la poche de sa chemise et fit mine d'ajouter quelque chose sur le papier :

- Ils ont oublié de mettre "humour de vieux dinosaure pas marrant", attends je rectifie ça…

Ils finirent par rire à deux quelques brèves secondes, avant qu'Ella ne retrouve son flegme.

- Sérieusement, tu es l'homme idéal, reprit-elle. Tu es diplômé de physique appliquée, tout en étant assez mastoc pour casser en deux le cliché sur les intellos à lunettes à toi tout seul. Qu'est-ce que je peux dire de plus ?

Le grand gaillard appuya ses coudes à la table pour se pencher en avant.

- Pas grand-chose, je pense. Tu veux me proposer du taf, mais j'en ai déjà ici. Donne-moi une bonne raison d'y réfléchir sérieusement, et on verra…

Le sourire de la blonde se figea rapidement en une moue plus acide, en même temps que l'éclat de ses yeux rieurs se ternit.

- Parce que tu appelles ça un taf, faire le gorille dans un vieux rade pourri ? C'est si passionnant que ça de foutre des soiffards dehors à coups de pompe ? Ne me dis pas que c'est de ça dont tu rêvais quand tu as quitté l'armée…

Elle prit quelques secondes pour ranger ses documents dans l'attaché-case, avant de se pencher à son tour vers son interlocuteur pour une seconde salve :

- Avoue quand même qu'on se fout de ta gueule, et quand je dis "on", je pense gouvernement fédéral, ou ce qu'il en reste… À combien se chiffre ta pension d'ancien combattant, cinq cents, six cent balles par mois ? À moins qu'on te l'ai déjà sucrée ?

Ses épais sourcils froncés, James se demanda d'où la jeune femme tenait toutes les informations dont elle faisait étalage ; et dans le même temps, il commençait à éprouver une certaine contrariété. Il n'appréciait pas du tout le discours d'Ella, à tel point que s'il ne s'était pas agit d'une femme, qui plus est la fille d'un ami, il lui aurait déjà collé son poing en pleine face sans le moindre avertissement.

- Moi, continua-t-elle en profitant de son silence, je te propose quelque chose de mieux, quelque chose de taillé à ta mesure. Et je ne parle pas que d'argent, je parle de valeurs morales, d'ambitions, je te parle de quelque chose qui donne du sens à ta vie… Allez, réveille un peu ta fibre patriotique, bon dieu !

- Mauvais arguments, petite, riposta James.

Le quadragénaire soupira tout en lissant sa barbe.

- Comme tu l'as noté, j'ai donné douze ans de ma vie pour un drapeau qui n'existe même plus. J'ai tout donné pour mon pays : mon temps, mon sang, mes principes ; et pour le remerciement que j'en ai eu…

Un profond sentiment d'amertume l'envahit, à mesure qu'il formulait sa pensée. James s'était engagé relativement vite dans l'armée, au lendemain du décès de son père, lui aussi soldat, et mort au combat alors que son unité était tombée dans une embuscade. Il n'avait pas réfléchi, et s'était enrôlé sous le coup de l'émotion, mettant ainsi fin à un parcours universitaire brillant, qui l'aurait conduit jusqu'au job de ses rêves, ingénieur dans l'aérospatiale. En lieu et place, il avait goûté à l'enfer de la guerre, dans le camp des vainqueurs certes, mais cela n'effaçait pas les horreurs auxquelles il avait assisté, encore moins celles qu'il avait dû commettre ; et sa maigre pension d'ancien combattant ne dissipait pas davantage ce regret d'avoir choisi cette voie plutôt que celle des sciences à laquelle il se destinait.

- … Alors si tu penses me convaincre en me ramenant à mes erreurs de jeunesse, et à tout ce qu'elles m'ont coûté…

- Ce job va probablement impliquer de buter du mutant, l'interrompit soudainement Ella.

Shefield marqua un temps d'arrêt dans son mouvement de bras, sensé amener son cigare à ses lèvres. Un bref instant, il dévisagea la jeune femme, comme pour s'assurer qu'elle ne bluffait pas pour tenter de le convaincre. À première vue, ce n'avait pas l'air d'être le cas. Il la suivit du regard alors qu'elle se penchait pour ramasser le journal roulé en boule, puis lorsqu'elle le défroissa pour jeter un œil à l'article qu'il lisait avant son arrivée.

- C'est bien ce que je pensais, souffla-t-elle avant de retourner l'épaisse liasse de papier dans sa direction. C'est ce Nielsen qui t'a foutu les boules ? Sache que l'opération est motivée par son projet de grande fraternisation avec la race ennemie ; plus précisément, elle consistera à empêcher cet hurluberlu d'arriver à ses fins, par tous les moyens jugés légitimes. Tu vois où je veux en venir ?

L'ex-militaire voyait effectivement très bien où tout ceci allait mener Armatech. Il n'y avait pas besoin d'être un génie pour comprendre que les projets humanistes de Martin Nielsen feraient inévitablement du tort à cette entreprise, s'ils finissaient par voir le jour : si des accords de coopération entre gouvernements et mutants venaient à être ratifiés, c'est autant de marchés potentiels que perdraient invariablement la firme texane, qui avait fait de la chasse au surhomme son fond de commerce ; rien que cette petite corporation en pleine ascension ne put se permettre, en définitive.

- Je vois, ouais. Mais tes belles promesses ne suffiront pas à me faire lever le cul de cette chaise, tu en as conscience…

Ella plissa ses paupières tout en souriant en coin.

- J'ai reçu des fonds de négociation, entre autres pour faciliter le recrutement des candidats les plus sceptiques, expliqua-t-elle en sortant ce qui avait tout l'air d'être son polypad de fonction.

La coque de ce dernier était effectivement marquée du logo d'Armatech, figurant une tête de chien sauvage en plein aboiement.

- Mais je ne te ferai pas l'affront de négocier quoi que ce soit avec toi, parce que tu n'es pas exactement un parfait inconnu à mes yeux. Je te propose donc la prime maximale d'embauche, soit cinquante mille dollars, en virement instantané sur le compte de ton choix.

Son sourire s'agrandit un peu plus avant qu'elle ne conclue :

- Il te suffit de dire "je marche", et c'est réglé.

James soupira.

Cinquante mille dollars… C'était plus qu'il ne pourrait espérer gagner sur les trois prochaines années avec son job actuel, mais ce n'était pas cet argent seul qui le ferait embarquer dans les combines d'Ella. En fait, elle l'avait pratiquement convaincu au moment où elle avait mentionné que le boulot impliquerait une confrontation probable avec des mutants, car c'était de cela qu'il avait réellement besoin : d'une cause à défendre, une cause qui en vaille la peine.

- D'accord, jeune fille, abandonna-t-il. Tu risques de le regretter, mais soit.

Le sourire de la blonde illumina son visage de poupon.

- Bienvenue à bord, Lieutenant James Ryan Shefield, déclama-t-elle avec entrain.

Ils scellèrent leur entente par une vigoureuse poignée de main, avant de commander de quoi trinquer en l'honneur de leur juste cause.

 

[À suivre...!]

 

Commenter cet article
S
I really like your blog. A pleasure to come stroll on your pages. A great discovery and very interesting blog. I come back to visit you. Do not hesitate to visit my universe. See you soon. Angelilie from Paris.
Répondre